EPHEMERIDE

Ecrire est une enfance

 

 « J’avais 7 ans, c’était Noël »


La photo de couverture de son dernier livre, Écrire est une enfance, dévoile un peu son bureau d’écrivain : une lampe d’opaline, un cahier d’écolier couvert d’une écriture presque enfantine et raturée, quelques livres, un stylo et… une étrange baguette de bois dont l’écorce, depuis longtemps, s’est absentée. « Ma mère l’a gardée toute sa vie sur sa table d’enseignante. On y distingue encore quelques taches de cette encre rouge dont elle se servait pour corriger les copies… » Ce branchage – noyer? hêtre?- est, pour Philippe Delerm, comme un « bâton de mémoire ». « Nous étions le 24 décembre. J’avais 7 ans. Alors que ce n’était pas dans leurs habitudes d’instituteurs laïques et républicains, mes parents avaient décidé, cette année-là, de fêter Noël. Pas de messe, mais un réveillon familial qui se préparait activement… lorsque, soudainement, je fis une crise d’étouffement, de la "dilatation bronchique", diagnostiqua le médecin. Une affection sérieuse.»

Au printemps suivant, les parents Delerm cassent leur modeste tirelire pour envoyer leur fils dans la Drôme, chez un médecin qui, avec un cocktail d’exercices, de gymnastique respiratoire et de lavages de bronches, remettra, en cinq mois, l’enfant sur pied. « La perspective de cette longue séparation n’était pas réjouissante pour le petit dernier choyé que j’étais. Nous avons pris le train, maman et moi, pour Montélimar, où nous attendrait un car pour Dieulefit. Madame … Belle, la mère du copain qui nous avait passé l’adresse, m’offrit Crin-Blanc (d’Albert Lamorisse (L’École des loisirs, 1977) ndlr), sans se douter que ce roman allait changer ma vie… Au fur et à mesure que le train roulait vers le lieu de ma guérison, les pages du livre m’entraînaient vers ce qui allait devenir “l’île” de mon salut : l’écriture !

Avec le recul, je crois avoir vécu une expérience spirituelle d’une grande intensité, un moment fondateur. Chaque fois que revient Noël, je songe à cet enfant malade embarqué dans un voyage qui fut aussi intérieur et – j’ose le dire – heureux. Moi qui ne suis pas croyant, je sais aujourd’hui que l’écriture est une belle façon de tenter d’apprivoiser l’éternité, ce bonheur qui se cache non pas tant “demain”, ni “au ciel”, mais “ici et maintenant”, dans l’instant et dans toutes ces petites réalités de l’existence que nous savons si peu regarder. » En arrivant ce jour-là à Dieulefit, une dame prend gentiment en charge le jeune Philippe, le rassure, le met en confiance… Sa mère s’écarte à regret, consciente de l’arrachement qui s’annonce. Seule, sur un chemin bordant la rivière, dans cette Drôme provençale inondée de lumière, observant tendrement son fils qui s’éloigne, elle ramasse… une petite branche.
 
PHILIPPE DELERM

Article paru dans Psychologies Décembre 2011

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions .
Ecrire , crypter ce vécu , cette traversée .....

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces deux piliers de la vie - Merci Annie de si bellement nous le rappeler.

25.01 | 06:56

MAGISTRAL, DEVOS

06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie,

Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai jamais réussi à lire, je vais essayer à nouveau avec "l'Homme au trois lettres".

marc