EPHEMERIDE

"On est rarement fin en essayant de le paraître. Les signes sont alors forcés,les marques trop appuyées. La vraie finesse s’ignore, ou n’aperçoit son reflet qu’en passant, au gré du miroir qu’elle promène sur les choses.
Dans Belle du Seigneur, Adrien Deume, fonctionnaire minable, modèle de fatuité et d’incurie, veut jouer l’important devant sa femme et devant son supérieur Solal (l’un des grands manitous de la Société des Nations). Il s’encombre l’esprit d’une foule de bons mots et de réparties spirituelles dans l’anticipation nerveuse d’un dîner où il brûle de briller. Tant de préparation exacerbe sa raideur et le pousse au ridicule, galvanisant entre autres ses pulsions mussoliniennes du menton. Ces scènes de la première partie du roman d’Albert Cohen constituent un répertoire instructif des échecs causés par la volonté obsessive de faire son effet. La nervosité du rond-de-cuir, son intention forcenée de produire une image favorable, qui le pousse même à cacher sous la table du repas des citations de critiques d’art reconnus, l’empêchent d’entrer dans une véritable conversation avec son hôte.
Deume s’exténue ainsi en gesticulations risibles une fois au Ritz avec le charismatique Solal. C’est que l’intention qui se rend trop visible exerce une influence contraire à l’effet recherché. Il n’est que de songer à l’homme en rut pressé de trouver une partenaire, au comédien qui veut plaire à tout prix et se met à cabotiner, à l’enfant qui joue au bébé pour paraître adorable, à la midinette qui contrefait une mine boudeuse pour simuler une sensualité farouche et désinvolte, etc…" (L'usage du vide , R.Graziani)

 

 

Extrait de Belle du Seigneur, / Albert Cohen:

 

 

"Adrien Deume soupira d’aise, fier d’avoir rangé d’emblée sa voiture entre les deux Cadillac. Il retira la clef du contact, s’assura que les vitres étaient bien relevées, sortit, ferma la porte à clef, tira à plusieurs reprises la poignée pour plus de certitude, considéra sa voiture avec tendresse. Epatante sa Chrysler, des reprises foudroyantes. Douce mais nerveuse, voilà. Sa grosse canne sous le bras, portant gravement sa mallette de fonctionnaire distingué, il s’en fut d’un pas guilleret. Mardi vingt-neuf mai, aujourd’hui. Dans trois jours, le premier juin, membre A à vingt-deux mille cinq cent cinquante balles-or comme début, avec augmentations annuelles jusqu’au plafond de vingt-six mille ! Pas à dédaigner, hein ?

Arrivé dans le grand hall, il se dirigea d’un air indifférent vers le tableau des mouvements du personnel, s’assura que personne ne l’observait et, comme les jours précédents, se reput des mots merveilleux qui proclamaient sa promotion. Ebloui et transpercé, mystique devant une présence sacrée, il resta plusieurs minutes à les contempler, à les comprendre à fond, à s’en pénétrer, les fixant jusqu’au vertige. Oui, c’était lui, c’était bien lui, ce Deume-là, ce membre de section A, avec effet dès le premier juin. Dans trois jours, membre A ! Etait-ce possible ? Eh oui, la promesse était là, devant lui, auguste, officielle !"

- Trésor, dit-il à son visage dans la glace de l’ascenseur qui le conduisait à ses travaux..."

 

Bien sûr La Bruyère adore et Molière n'en parlons pas, quant à Proust il est au Ritz



Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions .
Ecrire , crypter ce vécu , cette traversée .....

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces deux piliers de la vie - Merci Annie de si bellement nous le rappeler.

25.01 | 06:56

MAGISTRAL, DEVOS

06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie,

Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai jamais réussi à lire, je vais essayer à nouveau avec "l'Homme au trois lettres".

marc