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EPHEMERIDE
www.annycejourdhui.fr avec une chanson:
Oui, je sais c'est un de mes classiques que LES MOULINS
DE MON COEUR de MICHEL LEGRAND, puisque j'en ai fait la chanson de l'association culturelle TALENTS! Mais voilà que les esprits se rencontrant, j'ai lu avant hier la page suivante dans la Lettre De Pilosophie magazine:
"Bonjour,
Si vous deviez choisir votre chanson préférée, celle qui vous
accompagne, celle aussi qui permet, en filigrane, de faire votre portrait, ce serait laquelle ?” C’est la question, en apparence anodine, que m’a posée la semaine dernière le journaliste Frédéric
Pommier pour l’émission C’est une chanson qu’il tient tous les jours à 13h46 sur
France Inter. La formule de cette pastille radiophonique quotidienne est très bien trouvée, car, de fait, nos vies sont traversées, scandées, rythmées par des chansons qui, alors même qu’elles parlent à
tous, semblent détenir une part secrète et intime de nous-même, comme si elles avaient absorbé les événements, les rencontres, les dispositions affectives qui étaient les nôtres quand nous les écoutions.
Aussi, si on la prend au sérieux, n’est-il pas facile – faites donc le test avec vos proches ! – de choisir, parmi toutes celles qui se présentent à notre bon souvenir, celle qui nous représenterait le mieux.
Si j’ai finalement opté pour Les Moulins de mon cœur de
Michel Legrand, c’est pour trois raisons : intime, artistique et philosophique.
Intime, d’abord. Car c’est une chanson que
m’a fait connaître ma sœur, Fanny, à qui je suis attaché par un lien d’amour fraternel qui est l’une des rares choses que je crois indestructibles sur cette terre. Et qu’elle m’a appris, grâce et
à travers ce lien, grâce et à travers cette chanson, l’essentiel de ce à quoi j’aspire, sentimentalement parlant.
Artistique, ensuite.
Parce que cette chanson rassemble à peu près tout ce qui me fait vibrer esthétiquement. Inspirée à Michel
Legrand par l’Andante d’une Symphonie pour violon et alto de Mozart – la K 364, pour ceux que cela intéresse –, elle renoue le fil, un moment rompu dans le champ musical, entre le jazz
et le classique, entre le contemporain et la tradition, dans les pas de pianistes comme John Lewis ou Jacques
Loussier, qui avaient osé mettre Bach en jazz, ou, plus près de nous, du saxophoniste Raphaël Imbert,
qui fait dialoguer Bach et Coltrane. Composée initialement en anglais pour servir de structure harmonique au film L’Affaire
Thomas Crown(1968), une romance policière mettant aux prises Steve McQueen, en génial concepteur d’un braquage à distance de sa propre banque, et Faye Dunaway, en sublime enquêtrice chargée par l’assurance
de prendre le relais de la police, ce morceau infuse au film un romantisme inquiet et échevelé qui est la marque de fabrique de Michel Legrand – qui recevra pour cette composition l’Oscar de la meilleure chanson originale. Dans le
film, le “duel” amoureux trouve d’ailleurs son climax lors d’une partie d’échecs suggestive
qui serait sans doute dénoncée comme trop “genrée” aujourd’hui (“Lui : You Play ? Elle : Try me !”), alors même qu’elle se termine, après
la victoire de Faye Dunaway, par le plus long baiser de l’histoire du cinéma (55 secondes et huit heures de tournage sur plusieurs jours…).
Philosophique, enfin.
En effet, que nous dit Michel Legrand au travers de cette mélodie tournoyante et suave, mais aussi saccadée et hésitante ? Comme le titre de la chanson l’indique, il s’agit de faire résonner la nature avec les sentiments
qu’éprouve le narrateur. À l’image des ailes d’un moulin, balayé par les intermittences du vent, son cœur a le tournis à la seule évocation du nom de celle qu’il aime. Mais c’est peu à
peu tout le monde environnant qui s’anime, sans que l’on sache s’il projette son tourment intérieur au-dehors ou si c’est le mouvement des éléments qui ranime sa flamme intérieure, comme “cette
pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau, qui laisse derrière elle des milliers de ronds dans l’eau”. Des ailes du moulin aux anneaux de Saturne, tout tourne dans cette chanson qui donne à penser
que la vie est un cercle et qu’on ne cesse de tourner autour des mêmes choses. Sauf que la vie n’est pas l’éternel retour du même. “L’été finit sa course”, “l’oiseau
tombe de son nid”, “nos pas s’effacent sur le sable”, et, comme l’amour, “les chansons meurent aussitôt qu’on les oublie”. Bref, Legrand est romantique, et non pas nietzschéen.
Dans ce parcours circulaire qu’est la vie, laisse-t-il entendre, nous pouvons avancer et progresser, à condition d’apprendre à faire une place, au sein même du bonheur, à la possibilité de la perte, du deuil, de
la mort.
Dans un aphorisme de Minima Moralia (1951), Theodor Adorno affirmait : “Il suffit d’écouter
le vent pour savoir si l’on est heureux.” C’est exactement ce que dit la chanson de Michel Legrand, qui se proclamait “heureux, infiniment, douloureusement heureux”. Et c’est ce qui me remue
dans la musique : les moments de bonheur où le monde semble résonner avec nous ont presque toujours quelque chose de poignant et de douloureux parce que nous avons l’intuition, que, comme le vent, ils contiennent la possibilité
de leur dérèglement. Adorno encore : “Que serait le bonheur qui ne se mesurerait pas à l’incommensurable tristesse de ce qui est ?” Touchée, coulée,vivent nos ronds dans l'eau! Allez j'en remets une autre version, par Frida Boccara:
https://youtu.be/A_JWSYesl8U Supplément: Si vous voulez écouter l'émission: https://www.franceinter.fr/emissions/c-est-une-chanson/13h46-c-est-une-chanson-du-jeudi-07-octobre-2021
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