C'est un petit livre perdu et retrouvé dans ma bibliothèque dont la présence s'impose si je lui donne la parole...C'est un livre qui sent bon les pins des landes girondines, écrit en occitan et magistralement traduit par Guy Latry.
Bernard Manciet,( né en 1923 à Sabres, et mort à Mont-de-Marsan en 2005. Il est un des plus importants auteurs gascons du XXe siècle.) "a écrit ici une savoureuse galerie de portraits ; une petite anthologie de dialogues sur le vif, de peintures sur le motif ; une leçon d'écriture déroulée à la manière d'un recueil de dictées
à l'ancienne.
Ces nouvelles, ces petites histoires, ces tableautins ont pour cadres les divers lieux traditionnels de cette grande lande où habitait Manciet depuis toujours ; et pourtant tous ces personnages deviennent des archétypes
et tendent à l'universelle condition, par la force, par la grâce de la littérature." L'Escampette Ed.
J'ai relevé ce chapitre, un bijou, où
la prose et la poésie se confondent, comme si c'était vraiment possible!
"La fin du monde,
Ce
n'est pas rien une touffe, un bosquet de jardins au bord d'un ruisseau, regorgeant de pommes et de grappes et rejaillissant en tiges de digitales, de guimauve et de rosiers en folie, en rejets d'arbres mal taillés, en bousculades de pivoines, d'asparagus
serrés, de pêchers épais recroquevillés, d'hortensias cachés, et de danses de vignes folles, de buis, de romarin,vêtus jusqu'en haut d'un frémissement de vigne vierge. Ce n'est pas rien qu'un enfant soit ainsi
enseveli dans les odeurs âpres et subtiles où le persil laisse flotter la sienne.la lune chez nous y filtrait, rose comme la pêche de septembre, et s'éparpillait au premier matin de gel sous le p^cher en milliers de croissants de
sang et blanc.Les pommiers culbutaient dans le ruisseau.
Une de ces soirées de beau temps, tandis que Madeleine jouait dans la chambre,
sur l'harmonium, un air de Chopin plein d'arabesques-et nous l'écoutions tous, en murmurant;"Elle est amoureuse"-;une de ces soirées très alanguies, se prolongeant en jacinthes et en œillets blancs, longtemps après que l'angélus
a carillonné et longtemps après que les charrettes des muletiers sont passées; à l'heure où l'on glisse dans l'épaisseur épicée, dans les fouillis obscurs, je m'entendis héler par ma grand-mère:"C'est
la fin du monde!Viens vite, viens vite!"
Oui, vraiment, les étoiles s'en allaient, s'enfuyaient,fusaient,sautaient,dansaient et se dégringolaient
dessus dans tus les coins, dans le ciel du jardin. Madeleine s'était arrêtée de jouer.Ce fut une bataille de flammes dans tout le ciel, du zénith aux branchées affolées du ruisseau.L'éternité était
sur le jardin, qui se taisait."Et les hommes, disait grand-mère,sècheront d epeur..."Elle applaudissait ou tout comme, parce que les prophéties se réalisaient. Elle croyait, elle voyait, elle était déjà au Ciel.
On me fit remarquer que ce gambades de météorites eurent lieu au moment m^me où Hitler prenait le pouvoir."C'est la fin du monde, le diable danse!"
Plus tard, tout rentra dans l'ordre.
P 29/30, ch 3 La fin du monde.Bernard Manciet.