"Délestage je crie ton nom !
Dans mon enfance, j’avais une amie dont la mère était brodeuse. J’ai passé
de longs moments, assise sur le rebord de sa fenêtre à la regarder broder pendant que mon amie et moi brodions de mots la conversation qu’elle écoutait avec douceur, et nos rires. Et un point à l’envers et un
point à l ‘endroit, les monogrammes s’écrivaient, prenaient des formes calligraphiées qui donnaient au linge une dignité aujourd’hui perdue. En chinant dans les brocantes, on découvre des tonnes de
draps qui dorment sur des tables et attendent d’en découdre dans des maisons qui se refont un passé comme on achèterait une particule.
Le précieux
participe de l’essentiel, des mains ont brodé avec soin jusqu’à la lumière diffuse du soir. Ne pas l’ignorer. Ne pas confondre le futile et ce précieux. La beauté n’est jamais de trop.
C’est le tas qui pèse, le « tout un tas de… » ; vous savez, le combien…
Une adolescente me disait : « J’aime trier, c’est
pour moi une thérapie ! »
Cet âge est visionnaire !
Le jardinier japonais élague les branches du pin pour révéler son essence, l’arbre devient un niwaki(arbre de jardin)
qui prend sa place dans le paysage.
Nos vies, pour devenirpaysages choisis, demandent que nous devenions de vrais jardiniers esthètes sculptant la forme
révélatrice de l’arbre de vie que nous sommes.
Le sculpteur,
lui, entaille pour faire émerger une forme qu’il imagine.LeDavidde Michel-Ange naît d’un bloc de marbre. L’artiste a tiré partie de l'étroitesse du bloc, il contourne un de ses défauts (une
brèche dans laquelle il acreusé l’espace entre le bras droit et le torse).
Dans l’hexagramme 21 du Yijing, il est recommandé de trancher nettement le nerf qui bloque la situation, tel un boucher expert sur son étal.
Juliette Greco vient de mourir. Quel rapport ? S’est-elle délestée ? OUI, elle a tant chanté « Déshabillez –moi » en démon
de légèreté ! Et puis, disait-elle, « C’est moi qui part quand, dans le couple, je m’ennuie ». Cendrars lui avait-il suggéré: « Quand tu aimes
il faut partir » ?
Quelque chose se donne à la vie tout
entière dans le départ qui n’est pas une fuite. Un élan vers le haut ou un plongeon dans les profondeurs, c’est le même mouvement vers soi.
Quelqu’un a dit : S’abandonnerest un verbe qui finit bien.
Au-delà de la plainte, jusqu’à son bout d’aile, le mur s’effrite, le ciel déchiré s’éclaircit, l’hymen
refait florès, le soleil revient.
« Et si c’est une valse,
j’enverrai tout valser
Et si c’est un tango, je veux tout voir tanguer. » (/Déjeuner au soleil/Juliette
Gréco)"
(in REBUS, Anny C. inédit)