EPHEMERIDE

Avez-vous eu des coups de cœur de lectures pendant le confinement ?

Pour moi, ce fut le dernier livre de Pascal Quigard paru en janvier 2020.

Un bijou de 80 pages:

La réponse à Lord Chandos.


La réponse à Lord Chandos

Pour situer:

"En 1902, l’écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal publie un texte bref intitulé Lettre de Lord Chandos. Cette lettre imaginaire, supposément écrite en 1603 au philosophe empiriste Francis Bacon (1561-1626), est aujourd’hui considérée comme le témoignage capital, au tournant du XXe siècle, d’une grave crise du langage liée à un effondrement de la confiance humaine dans la toute-puissance des mots." Camille Laurens /Le Monde

J'ajoute que le philosophe et écrivain Clément Rosset (qui préférait la joie à la tristesse) avait déjà répondu à cette lettre imaginaire: "Là où il n'y a pas de mot, il n'y a pas de pensée". 

Pascal Quignard ouvre sa réponse sous trois auspices, ceux d' Emily Brontë, de Haendel et de Rembrandt: la première choisit de se retirer de toute société pour privilégier l'union avec soi", le second incarne la musique, et le peintre évoque un lien autre que verbal à l’expérience du monde. Ce passionné de la question de la langue apporte ici sa défense et illustration :«Les mots résistent à ceux qui sont en train de parler: jamais à ceux qui écrivent"

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Voici le début de ce texte...qui résonne en période de confinement, sous l'auspice d' Emilie Bontë:

"En 1842, à Bruxelles, rue Isabelle, quand elle enseignait à la pension Heger, jamais Emily Brontë ne leva les yeux vers les autres professeurs. Elle se rendit une seule fois dans la salle qui leur était réservée ; la crise d’angoisse qui l’y saisit fut telle qu’elle n’y remit jamais les pieds. La regardait-on avec attention, tandis qu’elle mangeait à la table du réfectoire, elle détournait la tête dans la confusion, emplie d’une crainte vertigi- neuse alors qu’elle n’avait peur de rien, en Angleterre, dans le Yorkshire, quand elle était livrée à elle-même et qu’elle parcourait la lande en compagnie de son chien et de son autour, quand elle y rencontrait les vagabonds et y croisait les fous.

Jamais elle n’eut le courage d’adresser la parole à ses collègues quand elle tombait nez à nez sur eux dans les couloirs et qu’ils la prenaient à partie au cours d’une discussion ; elle inclinait rapidement le front. Même les élèves auxquelles elle enseignait la littérature anglaise et la musique, elle ne les regardait pas. Elle parlait un français très beau et cérémonieux. Elle tenait ses mains enfouies dans l’étoffe épaisse de ses jupes. Le soir, elle tremblait, étrangère parmi les étrangères, rencoignée entre le rideau du paravent de son lit et les tout petits carreaux de la fenêtre qui surplombait l’armoire et le chevet. Elle enfouissait son visage au fond des plumes un peu piquantes de son oreiller et y pleurait longuement en silence.

Le matin, les barres de cuivre sciant son dos, cachée derrière le rideau, protégée par son paravent, au premier rayon de soleil, adossée à son oreiller, elle lisait dans l’ombre que faisait le clocher de Sainte-Gudule.

Quand sa sœur lui demandait si cela allait pour elle, si cette vie était supportable malgré tout, elle se limitait à répondre : « Je suis contente d’avoir un rideau à mon lit ».

 

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions .
Ecrire , crypter ce vécu , cette traversée .....

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces deux piliers de la vie - Merci Annie de si bellement nous le rappeler.

25.01 | 06:56

MAGISTRAL, DEVOS

06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie,

Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai jamais réussi à lire, je vais essayer à nouveau avec "l'Homme au trois lettres".

marc