"Ma grand-mère était un jardin. Bien avant l'aube, elle glissait comme un lézard d'un arbre à
l'autre, disparaissait entre les feuilles des artichauts, ramassait les fraises des quatre saisons dans son tablier, ou les poires gonflées de fraîcheur,redressait les pieds de tomate, se noyait dans l'odeur âcre des feuilles de chrysanthème,
et dans la légère brume qui débordait de notre ruisseau. (...) Elle avait un faible pour les rosiers quels qu'ils fussent: les hauts, les souffreteux,et ce rosier de sa fenêtre qui fleurissait encore après Noël, et l'autre
aussi, le violet qui se souvenait du temps d'avant les roses roses.(...)Le monde d'avant la clarté du jour, je le devinais aux présents que m'apportait ma grand-mère quand je me réveillais:le premier raisin noir, une tige de digitale
ou de mauve, un oiseau tombé du nid et que je devrais réchauffer, une plume fugace.Un matin d'hiver, elle m'apporta, en riant, une aiguille de glace qu'elle avait cueillie au bord du puits."
Bernard Manciet
traduit de l'occitan par Guy Latry
Jardins perdus
(ed. L'escampette)