EPHEMERIDE

En dédicace:

"Là où la vie emmure, l'intelligence perce une issue."

Marcel Proust Le temps retrouvé

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 Si vous n'avez pas regardé hier au soir "Colette, l'insoumise" sur Arte", après le film tiré de son roman "Chéri" peut-être aimerez-vous le voir ici:

https://www.arte.tv/fr/videos/079398-000-A/colette-l-insoumise/

 Le documentaire est bien fait et évoque la vie de Colette de façon plus complète que le film sorti en janvier dernier.

Voici une lettre  adressée à Colette par Marcel Proust et qui revient à l'essentiel, l'écriture :

 

Madame,

J'ai un peu pleuré ce soir, pour la première fois depuis longtemps, et pourtant depuis quelque temps je suis accablé de chagrins, de souffrances et d'ennuis. Mais si j'ai pleuré, ce n'est pas de tout cela, c'est en lisant la lettre de Mitsou. Les deux lettres finales, c'est le chef-d'œuvre du livre (j'entends de Mitsou car je n'ai pas encore lu En Camarades, j'ai de très mauvais yeux, je ne lis pas vite). Peut-être s'il fallait absolument pour vous montrer que je suis sincère dans mes éloges, vous dire que je ne me permettrais pas d'appeler une critique, appliquée à un Maître tel que vous, je trouverais que cette lettre de Mitsou si belle, est aussi un peu trop jolie, qu'il y a parmi tant de naturel admirable et profond, un rien de précieux. Certes quant au restaurant (au prodigieux restaurant - auquel je compare avec un peu d'humiliation mes inférieurs innombrables restaurants des Swann que vous ne connaissez pas encore et qui paraîtront peu à peu) (au restaurant qui me fait aussi penser avec un peu de mélancolie à ce dîner que nous devions faire ensemble et qui, comme rien dans ma vie depuis ce moment-là, et déjà longtemps auparavant -- ne s'est réalisé), le lieutenant bleu parle d'un joli vin qui sent le café et la violette, c'est tellement dans le caractère et le langage du lieutenant bleu. (À ce restaurant comme j'aime le sommelier, les dédains rêveurs etc...) Mais pour Mitsou il y a dans sa lettre des choses qui me sembleraient pas trop "jolies" si je n'avais trouvé dès le début (comme vous n'est-ce pas?) que Mitsou est beaucoup plus intelligente que le lieutenant bleu, qu'elle est admirable, que son mauvais goût momentané en matière d'ameublement n'a aucune importance (je voudrais que vous vissiez mes "bronzes", il est vrai que je les ai simplement conservés, non choisis), et que du reste ce progrès miraculeux de son style rapide comme la Grâce, répond exactement au titre: "Comment l'esprit vient aux filles." (...)

Marcel Proust

(Mitsou ou Comment l’esprit vient aux filles est un roman de Colette, publiée en 1919.

Le roman sera adapté au cinéma en 1956 par Jacqueline Audry.)

Voici un extrait de cette lettre du roman qui a fait pleurer Proust :

 

 Mitsou au Lieutenant Bleu.

le début...

Je suis assise au petit bureau. Mais je ne m'y suis pas assise tout de suite et je n'ai pas commencé ma lettre sans réfléchir comme vous me le demandiez.
D'abord ce n'est pas dans ma nature, ni dans mes possibilités. Et puis, il faut donner aux personnes le temps de lire une lettre, de bien la lire, de sourire, de se moucher, de s'essuyer les yeux et de raisonner. Je vous l'ai déjà écrit, je ne peux pas écrire vite. D'ailleurs, votre lettre non plus, vous ne l'avez pas écrite vite. Pour un officier en service commandé qui part, vous en avez mis long. Mon chéri, ce n’est pas un reproche et ne mettez pas vos sourcils sur le milieu de votre nez ! Ce n'est pas un reproche et c'en est un. Je me demande si je ne préférerais pas que vous m'auriez écrit : « Suis forcé partir avec capitaine. Baisers. » Comme un télégramme, quoi. Ne vous fâchez pas, je vous en prie. Laissez-moi vous mettre en premier tout ce qui n'est pas bon, le meilleur viendra après.
Voilà donc que vous partez, c'est détestable et même pire. Mais pourquoi vous en excusez-vous? J'ai dans l'idée que ce n'est pas de partir que vous vous excusez, mais de me quitter. Ah ! vous allez dire « cette Mitsou, je ne peux pas partir sans la quitter ! »

(...)

et la fin...

 Mon amour, je vais essayer de devenir ton illusion. C'est une ambition très grande, mon Cher Lieutenant Bleu, et vous ne m'avez pas invitée à une promenade qui peut faire le tour de la vie... Commençons donc par le plus facile, et si vous n'êtes pas tout à fait découragé, donnez-moi, je vous en prie, encore votre sommeil à côté de moi, encore la surprise de vous suivre si facilement jusqu'au plaisir, — accordez-moi la confiance et la bonne amitié de votre corps : peut-être qu'une nuit, à tâtons, tout doucement, elles m'amèneront enfin jus­qu'à vous.


                                                                             Mitsou"


 

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions .
Ecrire , crypter ce vécu , cette traversée .....

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces deux piliers de la vie - Merci Annie de si bellement nous le rappeler.

25.01 | 06:56

MAGISTRAL, DEVOS

06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie,

Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai jamais réussi à lire, je vais essayer à nouveau avec "l'Homme au trois lettres".

marc