-Faut-il avoir beaucoup souffert pour arriver à un tel détachement?
-Je ne sais pas quoi dire… la vie vous savez, est tellement dure... La vie a été beaucoup plus dure pour tellement plus
de gens que pour moi... Comment pourrais-je dire que j'ai souffert alors que se passent encore certaines choses aujourd'hui ? Je dirais simplement, par pudeur, que je n'ai pas abandonné l'enfant que j'étais. Voilà.
-J’étais un enfant qui ne faisait pas grand-chose. Qui regardait par la vitre. Qui regardait ce qu'il se passait quand il se passait
quelque chose. Nous prenons notre véritable visage et notre véritable force dans l'enfance.
Ma
vie sourit parce qu’elle sort du noir. C’est ça convertir le drame en joie : d’abord en éprouvant la sensation de confiance dans la base de la vie. Il arrive que la vie soit partie. Que l'on soit délaissé, abandonné.
Chacun fait cette expérience tôt ou tard, et parfois sur une durée très longue. Soit. Mais même dans ces moments-là, il y a quelque chose qui ne nous quitte pas, que je ne saurais pas nommer, que je ne veux pas nommer
- parce que la nommer, ce serait l'abîmer et, peut-être, la faire fuir à jamais. Il y a un point de confiance, quelque chose en nous comme une petite chambre dans le coeur, dans laquelle il ne faut laisser entrer personne. Pas même
ceux que nous aimons parce que le coup peut aussi venir, parfois, de ceux que nous aimons. Ce retrait-là permet de traverser tous les hivers, tous les incendies. Pourquoi
? Je n'ai pas d'explications. C'est comme ça : c'est là. Je ne peux rien expliquer. Vouloir expliquer le monde c’est comme vouloir faire entrer des roses dans un vase à coup de marteau. "
Christian Bobin./ FRANCE INTER.