Un ami m'a dit...cette Odyssée m'a touchée...écoute :
Extrait de ODYSSEE de MENDELSOHN
"Attendre l'inattendu. Mon
père était tombé et il était évident que nous ne ferions plus de voyage culturel. Mais nous avions eu notre odyssée — nous avions, pour ainsi dire, voyagé ensemble dans ce texte pendant un semestre, texte
dont il m'apparaissait de plus en plus clairement, alors que de ma chaise, je contemplais le visage immobile de mon père, qu'il parlait davantage du présent que du passé. Car au fond, c'est une histoire de familles étranges et compliquées,
une histoire de deux grands-pères - le père de la mère, excentrique, volubile, et grand farceur devant l'Eternel, et l'autre, le père du père, taciturne et obstiné ; l'histoire d'un long mariage et de brèves
infidélités, d'un mari qui entreprend un voyage au long cours et d'une femme qui reste au foyer, aussi attachée à sa maison que l'arbre l'est à la terre ; d'un fils et d'un père qui ne se reconnaissent que très
tardivement, et se retrouvent enfin pour partager une grande aventure ; l'histoire, à l'approche de son dénouement, d'un homme parvenu au milieu du chemin de sa vie, un homme qui, il faut s'en souvenir, est un fils aussi bien qu'un père,
et qui à la fin, s'agenouille et pleure parce qu'il a vu en face le spectacle de la vieillesse de son père, le spectre de son inévitable mort, une vision si terrible que cet homme, qui est pourtant un conteur chevronné, passé
maître dans l'art de déformer la vérité et de mentir sans vergogne, rompu à manipuler les mots, et partant, les gens - cet homme est tellement bouleversé à la vue de son père décrépit qu'il
ne peut plus se résoudre à raconter ses mensonges et à tisser ses récits, et qu'il doit, au bout du compte, dire la vérité.
Telle est L’Odyssée,
que mon père a souhaité étudier avec moi il y a quelques années ; tel est Ulysse, le héros dans les traces duquel nous avons un jour mis nos pas.
Je le regardai encore. Papa, appelai-je tout doucement.
Puis une infirmière entra et alluma la lumière, et soudain, ce n'était plus le visage d'un roi que j'avais sous les yeux, mais celui d'un vieillard malade : un homme qui, compris-je
en une sorte d'instinct primaire, avait déserté son propre corps, un homme dont le cerveau — ce cerveau puissant qui pour lui comptait plus que tout, qui lui avait permis d'échapper à son enfance, de gagner son pain et de
faire vivre ses enfants, de nous encourager, nous pousser, nous humilier aussi, et qui, pour finir, avait accueilli certains secrets qu'il ne partageait qu'avec une seule femme, sa compagne depuis soixante ans — dont le cerveau, donc, s'était
déplacé."