"Rien n’est plus fort que le pourquoi, rien n’est au-dessus du pourquoi, parce qu’il y a à la fin un pourquoi sans réponse possible. En
effet, de pourquoi en pourquoi, d’échelon en échelon on arrive au bout des choses. Ce n’est que lorsqu’on arrive de pourquoi en pourquoi, au pourquoi sans réponse, que l’homme est au niveau du principe créateur,
face à l’infini, égal peut-être à l’infini. Tant que l’on peut répondre au pourquoi on se perd, on s’égare dans les choses. Pourquoi ceci ? je réponds : « parce que
cela » et d’explication en explication je remonte jusqu’au point où l’on ne peut plus vous donner aucune explication à manger, d’explication en explication j’arrive au point zéro ou absolu, c’est-à-dire
là où vérité et mensonge sont équivalents, deviennent égaux l’un à l’autre, s’identifient, s’annulent réciproquement devant le rien absolu. On peut ainsi comprendre que toute action,
tout choix, toute histoire est justifié à la fin des temps, par une annulation définitive. Le pourquoi dépasse tout. Rien ne dépasse le pourquoi, pas même le rien, parce que le rien n’est pas l’explication ;
face au silence, dans le silence éclate la question sans réponse. Cet ultime pourquoi, ce grand pourquoi est comme une lumière qui efface tout, mais lumière aveuglante : on ne peut plus rien distinguer, plus rien n’est
à distinguer."
Eugène Ionesco
Journal en miettes (extrait)La rose est sans pourquoi
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« La rose est sans pourquoi,
elle fleurit parce
qu'elle fleurit,
elle ne se soucie pas d'elle-même,
elle ne se demande pas si on la voit. »
Angelus Silesius, Livre I, 289