"Les soirs violets et verts de Provence, les jaunes aurores des étés
franc-comtois,l'immobile fumée, bleu de pervenche, qui comble la vallée où Fès s'endort, piquée de feux, dans l'odeur de copeaux de cèdre;une nuit de cristal, en hiver, qui
tinte à tout choc;la mer et puis la mer, et encore la mer,qu'un jour de brouillard avait couverte et assourdie, qu'un autre jour (le 2 août 1914) constellait de méduses à franges mauve;le lever du soleil sur une plage où trente
courlis, qui avaient voyagé par la tempête,séchaient leurs plumes et leurs petites pattes;une source de mon pays natal, si bien cachée dans un bois que je croyais être seule à boire la petite convulsion régulière
qui la soulevait hors d'une coupelle de sable rouge..et vous voudriez que je choisisse?Depuis plus de soixante ans, je n'arrive même pas à préférer.Tout au plus je suis un peu plus fidèle aux sites, aux provinces que
j'ai connues les premières.Encore est-ce une fidélité, dirai-je, de résonance."
Colette
Belles saisons p 40