EPHEMERIDE

La mémoire

Je me souviens d’un autre temps clef de ma vie. Mai 68, je ne peux l’oublier. Cette année 2018 on célèbre l’anniversaire de cette année spéciale qui a bouleversé les consciences. La mienne était bel et bien endormie dans un cocon douillet, étudiant et joyeux avec ses nécessités d’études sérieuses, ses fêtes estudiantines normales, une vie en colloc qui chantait facilement Brassens et « Les Bourgeois c’est comme des cochons » sous les fenêtres toulousaines des voisins, près de la place du Capitole bien tranquille et rose pour toujours ! Dans l’appartement nous étions cinq, étudiants en droit, lettres, médecine, sciences po, Sup de co. Nous avions des comparses, des complices, des amis, des flirts …nous faisions régulièrement la fête, nous n’avions de souci que pour nos examens, les parents nous entretenaient ; devant la porte j’avais une voiture de sport, rouge décapotable, un Spider fiat 850, un bijou reçu pour mes 20 ans de mon papa. Fille à papa donc. Et Mai éclata en mille bourgeons roses et blancs, les pavés des cours tremblèrent, tout changea de point de vue. Non à l’argent, non aux interdits, non aux adultes , non aux études, non  aux différences, non aux examens ! Oui à la parole des jeunes de tous bords, oui à l’amour libre, à la générosité, à la vraie vie…Rimbaud était parmi nous, j’y ai cru ! On y a cru. Plus ou moins. C’était facile. Le paradis à portée de la main, déchirant les billets de banque dans un jardin d’Eden imaginaire. Le temps d’un rêve. Oui, il fallait secouer les habitudes, ce fut fait. Oui, il fallait demander l’impossible, ce fut fait. Oui, il fallait faire l’amour, ce fut fait.

Oui Mai.

Oui mais…

Je le disais tout passe et il fallut remettre de l’ordre en France, repasser des examens et entrer dans la vie sociale, les rêves déchirés, les amours abandonnées, les mariages consommés.

Certains se réfugièrent dans des maisons de campagne, d’autres prirent la route, on tissa, on peignit, on écrivit, on s’aima encore un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout…

Aujourd’hui que penser de cela ?

Il y avait une âme sans conscience, je crois. « Ange plein de bonté, connaissez-vous la fièvre ? » Baudelaire avait depuis longtemps tout écrit. C’était beau et ça devint triste. No future prit du sens. Aujourd’hui l’argent règne, la cause est perdue.

Que reste - t - il de Mai 68 ?

Que reste - t - il de nos amours ?

La joie d’avoir vécu un rêve, qui fait des envieux, mais pour moi, ce qu’il reste c’est la découverte de la transgression acceptée socialement et non seulement intimement, un conflit permanent avec la morale instituée, (clin d’œil au début du Baron perché d’Italo Calvino : quitter la table familiale et s’évader dans les arbres comme métaphore du départ vers sa nature propre)

C’est un pli dans une vie, un pli indéfroissable.

« Elle avait pris ce pli… » entre le principe de plaisir et le principe de réalité pour faire de sa vie un origami dirait Deleuze via Leibniz.

Et le désir dans tout ça ? Il est dans l’élan, je ne sais dire mieux.

Et l’élan n’est pas mort, « dans la jungle, terrible jungle… »

Faire ou Être telle est la question?

J’invente le néologisme Frêtre…qui les embrasse tous deux dans le baiser de Klimt.

Anny C.

Jours Glissants

inédit

 

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions .
Ecrire , crypter ce vécu , cette traversée .....

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces deux piliers de la vie - Merci Annie de si bellement nous le rappeler.

25.01 | 06:56

MAGISTRAL, DEVOS

06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie,

Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai jamais réussi à lire, je vais essayer à nouveau avec "l'Homme au trois lettres".

marc