"Le jour où j’ai entamé ce travail de chroniqueur, ma crainte était d’avoir à trouver chaque matin quelque chose à raconter. Le lendemain, mon problème était d’avoir à
choisir un sujet aux dépens de mille autres... Car tout est passionnant, du plus infime au plus considérable, « des meetings sportifs où des femmes bien habillées baignent dans la glauque lumière d’un hippodrome
marin, pouvaient être pour un artiste moderne motifs aussi intéressants que les fêtes qu’ils aimaient tant à décrire pour un Véronèse ou un Carpaccio » Le choix ne dépend pas de l’impor‐
tance objective d’un phénomène. En lui‐même, le monde est neutre et s’offre à qui le mange des yeux : on peut faire, dit encore Proust, d’aussi précieuses découvertes que dans
les Pensées de Pascal dans une réclame pour un savon. » Ouvrir les yeux, tendre l’oreille, laisser venir les sensations... Le contem‐ platif est milliardaire en événements
: « On a beau le remplir, jamais il ne déborde. » L’exercice de la chronique est un non-agir intensif, où le chercheur d’or est aussi alchimiste."
R.Enthoven (Mémoires provosoires)