Je crie rouge
J’entends jaune.
Je sens bleu.
Soleil sanguinolent dans la brume du labour.
Borborygmes matinaux de la tourterelle turque.
Lacets de veines à la charnière du coude.
Ça coule et c’est bleu dans les sables vermillon.
La mer Rouge s’ouvre dans une aube cadmium.
Du yaourt jauni suinte à l’œil outremer du veau.
Oreille de Vincent sur le parquet de la chambre.
Mâchoires soudées dans la terre de la tranchée.
Sifflement de la ceinture de cuir sur la chair enfantine.
Je griffe rouge.
Je mords bleu.
Je touche jaune.
Éclaboussure de lumière au bec du merle.
Sourire bleui coulé dans l’onctuosité du fromage.
Le pré moelleux cache les ossements des massacrés.
L’encre bleue sinue entre les poils de la poitrine.
La main velue s’écrase au dos de l’insecte nécrophage.
Le vent glisse entre les nuages.
La paille noircit la peau nue.
Le chien jaune mordille la mule.
Les couleurs fondent dans la nuit plombée.
Je crache rouge.
Je respire jaune.
Je mange bleu.
LUCIEN SUEL