Dans le train Bordeaux -Paris , décembre 2012
Chers amis,
Quai de gare, 5H du mat, dans le hall le glauque est en suspens.
Le train me file sous le nez.
Jamais la métaphore n’a été aussi vraie !
Le contrôleur me fait signe qu’il est désolé !
Moi aussi.
Pourtant je me suis levée aux aurores.Maintenant, je suis au bar, debout, dans l’attente du suivant.Il y a du monde autour de moi, du monde fatigué, du monde en colère,
du monde qui n’est pas beau !Les barbes naissantes donnent mauvaise mine ( rien à voir avec ces barbes bichonnées à la mode).Les yeux en disent long de ce qui se tait, les jeans sont salis par la nuit.Une violence plane, j’entends
des refus de régler les cafés :
- 1euro 6O dit le barman.
- Je ne paierai pas rétorque le client.
- 1euro 60 répète
le barman.
- 1euro 50 ! Répond l’autre.
- 1euro 60 rappelle le barman.
Le client paie.
Le suivant rejoue la scène.
On attend son tour…
La patience pèse une tonne.
Prévert
et « son petit café crime arrosé rhum » est attablé à la table d’à côté.
On me sert, je m’éloigne du comptoir.Je trouve un siège, on me sourit à gauche : ne pas m’attarder, attendre le prochain départ, les yeux vides.
Je suis maintenant vraiment réveillée, mon café fume, il est extraordinairement bon et le croissant aussi. Finalement, je ne déteste pas ce hall à la Hopper.
Enfin, ce n’est pas vraiment cela, ce qui ne me déplaît pas c'est d'être au cœur d’une réalité sans commentaire. Il faut rater les trains, on ne perd pas son temps, on se retrouve un peu différent.
Plus humain.
Le second TGV arrive. Je monte vite dans le wagon, ouvre mon ordinateur pour vous écrire. Autour de moi, tous
les ordinateurs s’ouvrent en cadence mais pas pour vous écrire!
Le temps file sous les rails, on arrive presque trop vite à Paris. Je m’étais installée dans cette autre réalité : rouler sur des
rails sans penser à bifurquer. Cela ne pouvait durer. La vie est bifurcation ! Les barbes du matin ont fait place à des visages soignés. Des enseignants sont en sortie avec leurs classes : ils vont à la capitale !
Les adolescents sont heureux. Moi aussi.
Paris sera toujours Paris… dit la chanson.
Le train siffle son
arrêt : Terminus. Drôle de mot!
Chacun sa vie.
La gare Montparnasse m’engloutit. Je suis vraiment dans le
métro, debout, assise, me tiens à un pilier, titube…On entend des voix qui disent de faire attention aux pickpockets : ça y est un pickpocket s’est fait piquer : la rame s’arrête.
Violence et silence.Secousses,on repart.
Station
Musée du Louvre. Arrêt, je descends.A pied, enfin !
Le Louvre ? Des arcades qui débouchent sur des losanges
de verre blanc accrochés au ciel et la lumière diffractée par l’architecte Pei qui se joue de vous...
C’est tout à fait royal, un autre monde que celui de ce matin est là.
Il faut se déplacer,
changer de point de vue, diffracter son regard pour se sentir vivant.
Dans le ventre du Louvre, telle Jonas dans celui de la baleine,
je vois l’affiche de l’exposition RAPHAËL.
Un flot de lumière me caresse.
J’y suis, j'y reste.
Ce sont les visages que m'ont touchée: ils ont , chez Raphaël,le velouté du satin des roses. Les yeux se baissent délicatement sur l’existence,
les drapés sont chauds et langoureux, les mains se prennent ou s’élèvent, le maître et l’élève se reconnaissent, il y a de la bonté dans les regards et de la beauté qui court d’une scène
à l’autre. Le maître fait école. Tout nous semble facile, tout lui était labeur.
Je suis aimantée par le portrait de Bindo Altiviti qui m’a appelée ici.
Sa tournure est d’une
telle élégance et sa lèvre d’une telle sensualité !
Naturellement.
Nonchalamment.
La courbe m’envoûte,
une harmonie divine accompagne le trait.
Et si on tue, on danse chez Raphaël. St Michel terrassant le dragon ne m' effraie pas, c’est
une scène d’opéra.
J'apprends que la vie du peintre est émouvante : il meurt à 37 ans et follement
amoureux, à en mourir dit la légende ! Amoureux , dirait Duras, forcément amoureux!
Mais les drapés gardent le secret du lit du peintre .
Moi, je me plais à le vouloir touché par la grâce.
Les couleurs sur sa palette rivalisent de rouges et d’ors, de bleus célestes, de verts nuancés et de traitres jaunes. Tout y est perspective et
raffinement jusque dans les tapisseries.
Bien sûr, me direz-vous, il y a Michel- Ange, bien sûr il y a Léonard, et les
anges au sourire et Dürer et Le Caravage que j'aime tant, bien sûr, mais il y a RAPHAËL en ce moment au LOUVRE et la chance de pouvoir aller admirer ses œuvres entre deux trains.
Au revoir chers amis et je dois ajouter avec Christian Bobin que « j’ai eu besoin de m’éloigner un peu de vous pour vous donner de vos propres nouvelles.
»
Anny C.