Voyez comment vont les choses, comment le flux vital s’incarne dans la littérature.
Après l’atelier d’écriture
de ce matin, j’ai partagé le déjeuner avec deux amies.
Avec appétit, notre conversation vagabonde a abordé bien des sujets passionnants
; l’une de nous a dit combien elle aimerait transmettre le subtil de sa vie, servie par sa mémoire, pour que cette belle expérience ne reste pas lettre morte.
Ce
fut l’œuvre de Proust, portant son expérience sensible au niveau universel.
En rentrant chez moi, une autre amie m’invita à aller écouter
une lecture de Proust à la bibliothèque de Bègles : j’ai beaucoup de mal à refuser une lecture de Proust !
Pardonnez la facilité
de vous dire que c’est ma tasse de thé !
Là, dans un fauteuil, je me suis une fois de plus sentie concernée.
Quand l’écrivain prend conscience que certaines émotions fugaces mais puissantes, lui font entrevoir la joie véritable, il n’hésite plus à se rapprocher de cette musique
intime, de cette réminiscence qui le surprend, et il découvre alors, ô merveille, une note de temps pur !
Oui, il voit de façon éclatante
que sa vocation est d’écrire et que ce désir et son être ne font qu’un ; son existence alors prend tout son sens, au point que la mort même devient seconde, comme si rien, enfin, n’était plus vanité !
Le livre est déjà écrit à l’intérieur de soi : il ne reste, dit Proust, qu’à le « traduire » dans sa propre langue
avec une précision telle qu’elle puisse faire écho chez le lecteur.
C’est une extraordinaire chance de sentir cette adéquation du désir
véritable avec sa vocation. Proust l’appelle « Bonheur ».
Et les mots de Proust pour dire cela tombent juste, interpellent notre propre
courage à porter notre attention sur le détail qui trouble, le geste déjà vu, le goût revenu, la trace d’un pas, le bruit d’une roue, une lumière sur un petit pan de mur…Alors même que nous
croyons avoir tout perdu, ce détail, ce geste, ce goût, ce bruit, cette lumière, peuvent faire chanter en nous cette pure Joie et donc, nous sauver.
Je
n’ai perdu mon temps ni à la table de mes amies ni dans le fauteuil de la bibliothèque puisque la question soulevée à midi a trouvé sa réponse tout naturellement en fin d’après midi, comme
si la vie et la littérature ne faisaient qu’un beau bouquet de cattleyas que je vous offre ce soir en toute amitié.