Annie Ernaux s’est vu décerner le prix Nobel de littérature 2022, jeudi 6 octobre. Ils ont ainsi couronné la carrière de l’autrice
des Années(Gallimard, 2008).
Bravo Madame, votre écriture au scalpel a fendu l'armure, chaque mot posé ayant son vrai
poids de vie !
"Chaque livre est la tentative-l'illusion-d'aller vers la lumière", A. E.(L'atelier noir/ journal d'écriture,
note de 2022)
Anny C.
"Annie Duchesne est née en 1940 à Lillebonne, elle a grandi à Yvetot, dans le café-épicerie tenu par ses parents, ce qui lui a permis, écrit-elle, d’être « traversée »par toutes sortes de discours et de langages, et permis d’appréhender les relations sociales au prisme de la domination. Sa mère voulait pour elle la meilleure éducation, l’a poussée à lire, à étudier dans une école privée catholique. Elle se destinait à devenir institutrice puis a choisi de passer le Capes de lettres. C’est ainsi, et par le biais de son mariage avec Philippe Ernaux, qu’elle est devenue une « transfuge de classe », et c’est dans cet écart entre le monde d’où elle vient et celui auquel elle a abouti qu’est née, en partie, l’écriture."
Le Monde
&
Annie Ernaux - Les Années - Incipit
Extraittiré de : Annie
Ernaux, Les Années, 2008
"Toutes les images disparaîtront.
la femme accroupie
qui urinait en plein jour derrière un baraquement servant de café, en bordure des ruines, à Yvetot, après la guerre, se renculottait debout, jupe relevée, et s’en retournait au café
la figure pleine de larmes d’Alida VaIIi dansant avec Georges Wilson dans le film Une aussi longue absence
l’homme croisé sur un trottoir de Padoue, l’été
90, avec des mains attachées aux épaules, évoquant aussitôt le souvenir de la thalidomide prescrite aux femmes enceintes contre les nausées trente ans plus tôt et du même coup l’histoire drôle qui se
racontait ensuite : une future mère tricote de la layette en avalant régulièrement de la thalidomide, un rang, un cachet. Une amie horrifiée lui dit, tu ne sais donc pas que ton bébé risque de naître sans bras,
et elle répond, oui je sais bien mais je ne sais pas tricoter les manches
Claude Piéplu en tête d’un régiment de légionnaires, le drapeau dans une main, de l’autre tirant une chèvre, dans
un film des Charlots
cette dame majestueuse, atteinte d’Alzheimer, vêtue d’une blouse à fleurs comme les autres pensionnaires de la maison de retraite, mais elle, avec un châle bleu sur les épaules, arpentant
sans arrêt les couloirs, hautainement, comme la duchesse de Guermantes au bois de Boulogne et qui faisait penser à Céleste Albaret telle qu’elle était apparue un soir dans une émission de Bernard Pivot
sur une scène de théâtre en plein air, la femme enfermée dans une boîte que des hommes avaient transpercée de part en part avec des lances d’argent - ressortie vivante parce qu’il s’agissait d’un
tour de prestidigitation appelé Le Martyre d’une femme
les momies en dentelles déguenillées pendouillant aux murs du couvent dei Cappuccini de Palerme
le visage de Simone Signoret sur l’affiche
de Thérèse Raquin
la chaussure tournant sur un socle dans un magasin André rue du Gros-Horloge à Rouen, et autour la même phrase défilant continuellement : « avec Babybotte Bébé trotte
et pousse bien »
l’inconnu de la gare Termini à Rome, qui avait baissé à demi le store de son compartiment de première et, invisible jusqu’à la taille, de profil, manipulait son sexe à
destination des jeunes voyageuses du train sur le quai d’en face, accoudées à la barre
le type dans une publicité au cinéma pour Paic Vaisselle, qui cassait allègrement les assiettes sales au lieu de
les laver. Une voix off disait sévèrement « ce n’est pas la solution ! » et le type regardait avec désespoir les spectateurs, « mais quelle est la solution ? »
la plage d’Arenys
de Mar à côté d’une ligne de chemin de fer, le client de l’hôtel qui ressemblait à Zappy Max
le nouveau-né brandi en l’air comme un lapin décarpillé dans la salle d’accouchement
de la clinique Pasteur de Caudéran, retrouvé une demi-heure après tout habillé, dormant sur le côté dans le petit lit, une main dehors et le drap tiré jusqu’aux épaules
la silhouette
sémillante de l’acteur Philippe Lemaire, marié. à Juliette Gréco
dans une publicité à la télé, le père essayant vainement, en douce derrière son journal, de lancer
en l’air une Picorette et de la rattraper avec la bouche, comme sa petite fille
une maison avec une tonnelle de vigne vierge, qui était un hôtel dans les années soixante, au 90 A, sur les Zattere, à Venise
[...]
Elles s’évanouiront toutes d’un seul coup comme l’ont fait les millions d’images qui étaient derrière les fronts des grands-parents morts il y a un demi-siècle, des parents morts eux aussi. Des images où l’on figurait en gamine au milieu d’autres êtres déjà disparus avant qu’on soit né, de même que dans notre mémoire sont présents nos enfants petits aux côtés de nos parents et de nos camarades d’école. Et l’on sera un jour dans le souvenir de nos enfants au milieu de petits-enfants et de gens qui ne sont pas encore nés. Comme le désir sexuel, la mémoire ne s’arrête jamais. Elle apparie les morts aux vivants, les êtres réels aux imaginaires, le rêve à l’histoire"
AnnieErnaux
Les Années
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"Je ne suis pas exhibitionniste. Je ne suis pas autocentrée
même si on me l'a reproché. Je crois que j'ai toujours parlé de moi en termes distanciés, comme si j'étais le lieu d'une expérience que je restituais. Je parle de moi parce que c'est le sujet que je connais le mieux
quand même… Je m'intéresse à ce qu'il a pu y avoir de social déposé en moi comme dans tout le monde" (au journal Le Monde 2017)
Commentaires
06.04 | 06:20
Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions . Ecrire , cry...
10.10 | 11:28
Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces de...
25.01 | 06:56
MAGISTRAL, DEVOS
06.08 | 13:40
Bonjour Anne Marie, Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai ...