Au fil des mots

EPHEMERIDE

Le confinement nous a permis de revisiter les classiques.

Comme disait Guillaume Galienne"ça peut pas faire de mal"

Voici donc un passage clef de "LA PRINCESSE DE CLEVES" qui est au programme de l'oral du bac de français en juin (peut-être).

Rappelez-vous... c'est l'histoire de Mademoiselle de Chartres, cette rare beauté, qui épouse Monsieur de Clèves sans passion alors que lui, l'aime profondément, et qui tombe amoureuse de Monsieur de Nemours dont la beauté est aussi rare que la sienne.Cet amour est réciproque mais elle renonce à vivre sa passion, passe aux aveux, son mari en meurt et elle se "confine" dans une maison religieuse. Renoncer ou trahir telle fut sa question!

Lecture bijou d'une écriture qui cisèle la pudeur et la passion , quelque chose comme une abstraction de l'amour où la jalousie a un rôle central comme chez Proust.

Voici le passage de l'aveu à son mari :

 Mme de Clèves, qui vient de perdre sa mère, est désemparée et se retire à la campagne. M. de Clèves ne comprend pas ce goût pour la solitude et demande des explications à son épouse. Le duc de Nemours se trouve par hasard sur les lieux et surprend cette scène d'aveu. 

"- Ah ! madame ! s'écria M. de Clèves, votre air et vos paroles me font voir que vous avez des raisons pour souhaiter d'être seule, que je ne sais point, et je vous conjure de me les dire. Il la pressa longtemps de les lui apprendre sans pouvoir l'y obliger; et, après qu'elle se fut défendue d'une manière qui augmentait toujours la curiosité de son mari, elle demeura dans un profond silence, les yeux baissés; puis tout d'un coup prenant la parole et le regardant :

- Ne me contraignez point, lui dit-elle, de vous avouer une chose que je n'ai pas la force de vous avouer, quoique j'en aie eu plusieurs fois le dessein. Songez seulement que la prudence ne veut pas qu'une femme de mon âge, et maîtresse de sa conduite, demeure exposée au milieu de la cour.
- Que me faites-vous envisager, madame, s'écria M. de Clèves. je n'oserais vous le dire de peur de
 vous offenser.

Mme de Clèves ne répondit point; et son silence achevant de confirmer son mari dans ce qu'il avait pensé :
-Vous ne me dites rien, reprit-il, et c'est me dire que je ne me trompe pas.
- Eh bien, monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un aveu que l'on
 n'a jamais fait à son mari; mais l'innocence de ma conduite et de mes intentions m'en donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la cour et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge. Je n'ai jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d'en laisser paraître si vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour ou si j'avais encore Mme de Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je le prends avec joie pour me conserver digne d'être à vous. Je vous demande mille pardons, si j'ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions. Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus d'estime pour un mari que l'on en a jamais eu; conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez. 

M. de Clèves était demeuré, pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors de lui- 25 même, et il n'avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu'il jeta les yeux sur elle, qu'il la vit à ses genoux, le visage couvert de larmes et d'une beauté si admirable, il pensa mourir de douleur, et l'embrassant en la relevant :

- Ayez pitié de moi vous-même, madame, lui dit-il, j'en suis digne; et pardonnez si, dans les premiers moments d'une affliction aussi violente qu'est la mienne, je ne réponds pas comme je dois à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d'estime et d'admiration que tout ce qu'il y a jamais eu de femme au monde; mais aussi je me trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m'avez donné de la passion dès le premier moment que je vous ai vue; vos rigueurs et votre possession n'ont pu l'éteindre : elle dure encore; je n'ai pu vous donner de l'amour, et je vois que vous craignez d'en avoir pour un autre." Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves 1678.

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions . Ecrire , cry...

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces de...

25.01 | 06:56

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06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie, Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai ...