Au fil des mots

EPHEMERIDE

"CHAPITRE PREMIER

Quand le cardinal de Richelieu se rendit au siège du port de La Rochelle, il vit un homme sur le bord de la route avec une boîte noire posée sur ses genoux. Il fit arrêter son carrosse. Richelieu dit à cet homme :

— Prends ton violon et viens.

L’homme obéit. Il monta dans le carrosse. Il s’assit devant le ministre.

— À la vérité, c’est une viole, dit le musicien.

— La nuit, j’ai peur.

Voilà ce que répondit Richelieu. Le ministre n’indique rien de plus au musicien qui désormais l’accompagne partout. Des chevaux le hantaient. Des chevaux surgissaient dans le silence de chaque nuit, marchaient sur les morts qu’il aimait. Ils se cabraient tout à coup. Quand ils se mettaient à hennir au cours du songe, aucun son ne sortait de leurs grands visages. Simplement, debout sur leurs jambes arrière, la bouche grande ouverte, ils appuyaient très fort avec leurs sabots et leurs fers sur ses côtes, sur son ventre, sur ses poumons. Ils opprimaient son souffle. Il se réveillait en sueur, dans un état de panique indescriptible. Aussitôt il appelait le musicien à son chevet.

Richelieu dit un jour à sa nièce :

— J’ai besoin que quelqu’un, la nuit, me vienne consoler du silence que les étoiles font."

Pascal Quignard

L’enfant d’Ingolstadt

Dernier Royaume(suite)

Grasset, 2018

« Qu’est-ce que je cherche, tome après tome, dans Dernier Royaume ? Une autre façon de penser à la limite du rêve. Une façon de s’attacher au plus près de la lettre, à la fragmentation de la langue écrite, et d’avancer en décomposant les images des rêves, en désordonnant les formes verbales, en exhumant les textes sources. Quelle étrange falsification a lieu dans le rêve ? Dans le dessin qui naît sous les doigts ? Dans le langage qui gémit ? Dans la pensée qui hallucine ? Dans la musique même ? Quel est ce mystérieux fantôme ou appelant ?
Ce dixième tome de Dernier royaume n’a qu’un sujet : le faux qui fait le fond de l’âme. Le fond de l’âme hallucine. Le langage dédouble ses fantômes. Tous les arts élèvent des mondes faux. Même la dépression est un rêve.
L’art dès son origine témoigne activement d’un passé présent : d’un rêve actif qui passe les générations et remanie ce qu’il fait revenir. L’art de la préhistoire est une référence fondamentale pour toutes les populations humaines actuelles. C’est le véritable patrimoine. Ce sont peut-être même les seules traces d’un fond universel qui s’est dispersé avec la curiosité territoriale propre à l’espèce et l’éparpillement des langues qui sont impuissantes à offrir d’aussi saisissantes archives originaires au fond des mots dont elles usent. »

Pascal Quignard

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions . Ecrire , cry...

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces de...

25.01 | 06:56

MAGISTRAL, DEVOS

06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie, Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai ...