EN BAIE DE SOMME
Ce doux pays, plat et blond, serait-il moins simple que je l’ai cru d’abord ? J’y découvre des mœurs bizarres : on y pêche en voiture, on y chasse en bateau
[…] Étrange, pour qui ignore que le gibier s’aventure au-dessus de la baie et la traverse, du Hourdel au Crotoy, du Crotoy à Saint-Valery ; étrange, pour qui n’a pas grimpé dans une de ces carrioles à larges
roues, qui mènent les pêcheurs tout le long des vingt-cinq kilomètres de la plage, à la rencontre de la mer…
[…] le soleil peut se coucher tranquillement au-delà de la baie de Somme, désert humide
et plat où la mer, en se retirant, a laissé des lacs oblongs, des flaques rondes, des canaux vermeils où baignent les rayons horizontaux… La dune est mauve, avec une rare chevelure d’herbe bleuâtre, des oasis de liserons
délicats dont le vent déchire, dès leur éclosion, la jupe-parapluie veinée de rose…
Les chardons de sable, en tôle azurée, se mêlent à l’arrête-bœuf, qui pique d’une
épine si courte qu’on ne se méfie pas de lui. Flore pauvre et dure, qui ne se fane guère et brave le vent et la vague salée […]
Pourtant, çà et là, verdit la criste-marine, grasse, juteuse,
acidulée, chair vive et tendre de ces dunes pâles comme la neige… […]
La baie de Somme, humide encore, mire sombrement un ciel égyptien, framboise, turquoise et cendre verte. La mer est partie si loin qu’elle ne
reviendra peut-être plus jamais ? Si, elle reviendra, traîtresse et furtive comme je la connais ici. On ne pense jamais à elle. On lit sur le sable, on joue, on dort, face au ciel, jusqu’au moment où une langue froide, insinuée
entre vos orteils, vous arrache un cri nerveux : la mer est là, toute plate, elle a couvert ses vingt kilomètres de plage avec une vitesse silencieuse de serpent. Avant qu’on l’ait prévue, elle a mouillé le livre, noirci
la jupe blanche, noyé le jeu de croquet et le tennis. Cinq minutes encore, et là voilà qui bat le mur de la terrasse, d’un flac-flac doux et rapide, d’un mouvement soumis et content de chienne qui remue la queue…
Un oiseau noir jaillit du couchant, flèche lancée par le soleil qui meurt. Il passe au dessus de ma tête avec un crissement de soie tendue et se change, contre l’est obscur, en goéland de neige…
COLETTE/LES VRILLES DE LA VIGNE
Commentaires
06.04 | 06:20
Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions . Ecrire , cry...
10.10 | 11:28
Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces de...
25.01 | 06:56
MAGISTRAL, DEVOS
06.08 | 13:40
Bonjour Anne Marie, Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai ...