Au fil des mots

EPHEMERIDE

"Non, il vaut mieux avoir du talent. Et pour réussir à grande, à très grande échelle, il faut même le talent d’inspirer les autres, de leur donner du souffle, de l’envie, de la liberté, des idées – ce qui n’est pas loin de s’appeler gentillesse. Évidemment, la gentillesse a mauvaise presse. On la soupçonne de niaiserie ou de sensiblerie – « il est gentil, un peu trop peut-être… » –, tandis qu’on prête volontiers toutes les vertus à la méchanceté. On imagine le méchant stratège, calculateur, fort. On le voit en killer d’entreprise, en animal politique à la peau dure, et on répète à l’envi la phrase de Gide : « On ne fait pas de bonne littérature avec des bons sentiments. » C’est dire à quel point, dans tous les champs de la réussite occidentale, la méchanceté est valorisée au détriment d’une gentillesse qui fait un peu pitié. C’est oublier la valeur aristocratique de la gentillesse : tout le monde ne peut pas se permettre de réussir en se comportant bien ; de chercher à retrouver le geste du gentilhomme plus que celui du simple conquérant. Pour réussir, il ne faut pas chercher à passer devant les autres mais à se dépasser soi-même. Vouloir écraser les autres, c’est obéir à la pulsion. Réussir vraiment, c’est sublimer la pulsion refoulée. Ne confondons pas la méchanceté avec la sublimation de l’agressivité naturelle. L’agressivité est probablement l’un des moteurs décisifs de nos combats, de notre créativité, de notre réussite, mais ceux qui réussissent vraiment ne sont pas ceux qui se livrent à elle. Le talent vient souvent de ce que nous savons faire de notre agressivité refoulée : de notre capacité à la sublimer. Le méchant y échoue, égaré bien souvent dans ses pulsions contre-productives. Il consomme son énergie à vouloir nuire au lieu de l’employer à inventer l’avenir. Convaincu qu’il faut diviser pour régner, il conçoit le pouvoir comme une prise. Il fantasme l’accroissement de son pouvoir dans ce qu’il prend aux autres. Le temps, bien souvent, aura raison de lui. Il finira par rencontrer plus méchant que lui et, même si cela n’arrive jamais, il aura vécu toute sa vie dans cette crainte. Il n’aura pas consolidé son pouvoir dans ce qu’il aura su donner aux autres. L’inventeur, le philosophe, le manager, le chef d’équipe, l’être charismatique… tous accroissent leur pouvoir en en offrant aux autres : avoir du pouvoir, c’est donner du pouvoir. C’est déléguer, déclencher, inspirer. Se montrer capable de cette forme supérieure de « gentillesse », qui n’exclut -ni l’intérêt ni la sublimation de l’agressivité primitive. Il ne faut pas être méchant pour réussir mais assumer l’ambivalence qui nous fait homme et en faire quelque chose."

CHARLES PEPIN

PHILOSOPHE

PHILO MAG

Commentaires

06.04 | 06:20

Emerger de notre vivier , aprés y avoir puiser toutes les émotions . Ecrire , cry...

10.10 | 11:28

Aimer ne se négocie pas - oh que non. L'amitié non plus. Amour Amitié ces de...

25.01 | 06:56

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06.08 | 13:40

Bonjour Anne Marie, Quel plaisir d'écouter Pascal Quignard, que je n'ai ...