Le verre de vin sucré de Tatie Jeanne
C’était un bol de faïence blanche bordé d’une frise crénelée de deux tons de bleus, posé
sur la table de cuisine de ma tante Jeanne à l’heure du goûter, un bol dans lequel un vin sucré faisait une jolie petite flaque rouge trempée de petits morceaux de pain qui se noyaient tranquillement.
C’était
pendant l’été des grandes vacances dans l’arrière-pays de Sète, dans les années d’enfance, près des vignes repues de chasselas blonds, les plus beaux du monde.Nous étions habillés
de shorts blancs et de marinières bien repassées, mon frère et moi.
Nous nous installions alors devant une chose que nous ne connaissions que dans cette cuisine, un bol de vin sucré qui nous fortifiait.
C’était un rituel, un moment de communion où le vin et le pain se mariaient dans un délicieux péché de gourmandise ! Tante Jeanne était une sacrée maligne qui nous donnait des
forces à sa sainte table. La boisson était fraîche comme nos joues, et nous aimions ce breuvage, sans trop savoir pourquoi. Un goût de cerise sucrée nous donnait une impression liquoreuse transgressive, car, du vin, nous n’en
buvions jamais !
C’était dans une maison de bonté qui donnait le meilleur de son âme.
Anny C.